Lettre type à votre disposition.
Sujet : comment expliquer de manière alambiquée, hypocrite, rusée et sans scrupule, le manque de savoir-vivre d'un individu (ou plusieurs) parti en voyage et n'ayant pas consacré ne serait-ce qu'une minute à l'envoi de quelques mots, d'une carte ou d'un appel téléphonique à sa famille ou à ses meilleurs amis.
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Très chers...
Vous avez
sans doute appris – ou pas – par les médias ou le téléphone arabe que l’envie nous
prit la semaine passée d’aller nous faire voir chez les grecs (ou chez les macédoniens... ou les étrusques, et pourquoi pas en Phénicie... aussi: là vous avez le choix. La haute considération de vos interlocuteurs à votre endroit étant forcément proportionnelle au niveau élevé de votre propre culture alimenté par des voyages du même nom à haute valeur ajoutée). Suite à cette
décision unilatérale et collective, il eût été raisonnable que vous espérassiez
de la part des meilleurs amis que nous sommes la réception pour le moins
postale, même succincte, de quelque carte faisant foi de cette escapade.
Mais vous
n’êtes pas sans savoir, pour l’avoir déjà pratiqué peut-être vous-mêmes, qu’en de telles circonstances, les courtes siestes ajoutées aux
apéritifs prolongés ne donnent guère le temps de s’adonner à ce genre
d’exercice épistolaire.
Il y eut
bien, lors de notre séjour, quelques éclaircies ou créneaux qui nous
eussent permis le choix d'une carte ou l'envoi d'un SMS, mais encore eût-il
fallu que les circonstances et les éléments tant matériels que météorologiques
donnassent la possibilité d'y souscrire pleinement. Tel ne fut pas le cas !
Quand ce n'était pas la chaleur écrasante d'un soleil de platine (le plomb ne
traduisant pas assez le poids ressenti du moment) interdisant toute velléité de
parcourir en jouant des coudes les rues encombrées de touristes
interdisant même l'accès aux présentoirs de cartes ou tout autre produit similaire,
c'était aussi cet incroyable succession d'incidents techniques relatifs à
l'utilisation de notre téléphone portable n'ayant pas permis – à notre grand
dam – de vous joindre ainsi qu'il le fut fréquemment dans notre intention.
Souvent le manque de réseau en demeura la cause: nous avons plus d'une fois constaté qu'allongés
sur le sable chaud d'une plage - toujours idyllique; il faut le dire - à l'abri de montagnes, aucune barre sur notre écran
n'annonçait la proximité d'un relais permettant quelque envoi ou contact que ce
soit; quand ce n'était pas – et là je prends à témoin à la fois les dieux et la
gens féminine n'ayant pas eu le réflexe de brancher le chargeur la veille au
soir pour mettre les piles à niveau – la batterie à plat.
Et pourtant,
est-il besoin d'en faire état? A force de persévérance et de ténacité, à trois
jours de notre retour, nous avions en main LA carte que nous réclamions à corps
et à cris de façon concrète et subliminale, et qui enfin nous permettrait
d'exprimer pleinement à votre endroit toute la reconnaissance de vous compter
parmi nos confidents. C'est ainsi que munis d'un stylo en main droite, la
senestre éprouvant le plaisir rafraichissant que la condensation imprimait sur
le verre chargé d'uzo (ou raki ou pastis ou thé à la menthe selon les lieux) aux glaçons évanescents, nous couchâmes au verso d'un
coucher de soleil à faire pâlir d'envie tous les absents dont vous étiez les
quelques mots réconfortants, lumineux comme le rayon de soleil caressant notre
épaule basanée à ce moment-là, qui vous étaient destinés. Heureux de pouvoir
enfin satisfaire ce besoin intime de ne pas oublier ceux qui peinent au travail
tandis que d'autres se prélassent, oserions-nous dire sans états d'âme ni scrupules, à l'aune
d'un retour qu'ils éludent volontairement afin de profiter au maximum du
moment présent… carpe diem! OUI, nous la tenions cette carte salvatrice,
habilement griffonnée et signée. La boite aux lettres la plus proche devenait
sa destination première avant une réception que nous espérions rapide sous la
diligence des services adéquats, postaux et à casquette. MAIS, quelle ne fut
pas notre surprise, notre stupeur, notre douleur… dans la précipitation et
l'euphorie de notre trouvaille un détail essentiel à la bonne fin de notre entreprise
nous frappa de plein fouet par son absence : nous n'avions pas de timbre ! Et
c'est dans de telles circonstances que les événements aux conséquences néfastes
s'enchaînent inexorablement et vous entraînent de Charybde en Scylla.
Il était
tard, trop tard pour encore trouver une échoppe susceptible d'éradiquer votre angoisse
en proposant la vignette indispensable à notre envoi. De plus nous étions à la
veille d'un weekend synonyme de repos pour tous travailleurs syndicaux ou
syndiqués. Et comble de notre infortune tous les coreligionnaires de même acabit que vos serviteurs, sollicités à
la ronde, avaient épuisé leurs stocks de spécimens ad hoc. Il ne faisait plus aucun
doute que le préposé habitué à glisser le courrier dans votre
réceptacle à courrier ne ferait pas halte, comme il eût été envisageable de le penser, pour déposer
cet acte de foi, d'espérance et de charité qui n'était plus entre nos doigts
tremblants et agités qu'un vulgaire carton sans intérêt… Mais je m'égare… et la
gare de notre rapatriement point déjà à l'horizon de notre renvoi vers nos
pénates… Hélas!
Aussi, NE
SOYEZ PAS DECUS, durant toute la période de cette activité vacancière, culturelle et
surbookée, dites-vous bien – et notre démonstration susdite, s'il en était
besoin, vous le prouve - que vous fûtes
partie du club très restreint des privilégiés qui habitèrent en permanence nos
pensées et que jusqu’à l'ultime moment de notre retour l’idée de cette démarche altruiste et salutaire hanta notre subconscient
sans malheureusement pouvoir se concrétiser.
Bon, j'aurai fait ici l'essentiel. Je vous laisse le choix de la formule de politesse qui pourra prendre des intonations diverses et ampoulées selon la susceptibilité des destinataires. Et n'hésitez pas, surtout pour vos plus proches, à envelopper le tout de brassées d'accolades affectueuses, généreuses et tendres pour noyer vos explications aussi extravagantes qu'invraisemblables.
Et surtout vous n'oubliez pas de signer !
Ulysse et Pénélope
P.S. Il nest pas interdit de me remercier de ctte libéralité :
Copyright
Pol Ernaz